PASCAL LOMBARD / Diederik Bakhuys (2004)


PASCAL LOMBARD

Si la peinture de Pascal Lombard a fait le choix de l’immobilité et du silence, c’est pour proposer de vivifiants moments de méditation visuelle dans deux genres anciens, la nature morte et le paysage, qui sont par excellence ceux qui permettent les interrogations les plus fécondes sur l’essence de la vision et sur le sens qu’un peintre choisit de lui donner. Pascal Lombard a pris le parti de récuser l’actualité ; il enfonce même le clou en usant d’un idiome que certains tenaient peut-être pour l’une des langues mortes de la technique picturale : la peinture à tempéra - un procédé bien plus ancien que l’huile - et qui est depuis longtemps son moyen d’expression exclusif. Outre ses moyens techniques, les motifs qu’il choisit, son goût des formes bien construites et une inclination pour une certaine poésie classique relient son travail à un vaste répertoire de références artistiques. Lombard se dégage pourtant avec élégance des pièges d’une confrontation frontale avec l’histoire de la peinture, pour fonder une expression très singulière qu’il a forgée en explorant patiemment les voies offertes par une technique dont bien peu mesurent les ressources. Travailler à tempéra induit des restrictions de toutes sortes : elle impose au peintre un code particulier de gestes et une lenteur. Bien des amateurs de peintures seraient plus à l’aise pour énumérer les effets dont elle ne peut pas jouer que pour définir précisément ses possibilités particulières. Les pigments liés à l’œuf sont appliqués sur une préparation crayeuse ; Lombard choisit souvent de l’étendre sur des toiles de lin à la trame épaisse. Cette technique satisfait bien autre chose qu’un goût pittoresque pour les petites cuisines artisanales : elle nourrit une fascination pour une matière terreuse et mate dont le peintre tire des effets d’épaisseur et des jeux de transparence dont on serait bien en peine de trouver des équivalences ailleurs. Nous sommes accoutumés à associer la richesse des effets de profondeur aux glacis gras et brillants de l’huile. Avec ses surfaces tout à la fois sèches et délavées mais qui ne sont opaques qu’en apparence, Lombard suggère l’espace, la distance, la légèreté de l’air. Au moyen d’une superposition de voiles poudreux, il invente une atmosphère étrange, une poésie minérale et légère dont les résonances sont d’autant plus surprenantes que nous le verrions à priori plutôt porté sur les timbres sourds. La force de cette peinture tient à ce que la rigueur de l’ordonnance n’exclut nullement le mystère. Son coloris est sobre, sa gamme chromatique réduite, ses éclairages demeurent souvent diffus et incertains : la texture est cependant vibrante et riche et elle possède toujours une étrange luminosité. Qu’il organise le drame immobile de ses natures mortes ou qu’il peigne de larges paysages inspirés des collines de la Franche-Comté (les ciels l’intéressent moins que la terre, d’ailleurs), l’attention première du peintre se porte toujours sur la distribution des masses, l’harmonieuse solidité des intersections ; la lumière y joue pourtant un rôle décisif, mais sous une forme inattendue : elle sculpte moins qu’elle irradie, qu’elle équilibre et nourrit les formes. C’est aussi grâce au sens qu’il lui donne que se produit ce petit miracle sans lequel une œuvre est ratée et grâce auquel la toile devient un tout organique, un ensemble vivant, cohérent et complet.


© Diederik Bakhuÿs (Conservateur au cabinet des dessins du Musée des Beaux-Arts de Rouen)