ASTRID DE LA FOREST / Diederik Bakhuys (2006)


Exposition de gravures chez Lacourière-Frélaut



Plus loin, plus près...


Astrid de La Forest pratique la gravure depuis plusieurs années, parallèlement à son travail de peintre et en traitant souvent des sujets identiques. L’atelier Lacourière et Frélaut, où elle grave depuis 2004, expose une large sélection de près de deux années de travail. Elle qui s’est longuement appliquée à saisir la figure en mouvement, qui a même pratiqué le portrait, donne corps aujourd’hui à un univers dominé par le motif naturel, construit sur des contrastes puissants, dans une oscillation consciemment assumée entre l’ouverture panoramique et la vision rapprochée. La figure humaine en est absente, mais non pas la trace de l’homme. Lorsque son angle de vue est le plus largement dilaté, c’est pour composer des paysages amples et vigoureux organisés en grandes masses fuyantes : ils sont inspirés du Morvan, où elle vit et qu’elle parcourt en dessinant. Sa confrontation très libre avec le motif peut aboutir à une expression d’un dépouillement presque abstrait, comme dans sa série récente de vues de vignes. Ses paysages ne sont pas toujours construits autour des masses solides : plus encore qu’à la césure de l’horizon ou au dessin des lignes de crêtes, elle s’attache à la trace des sillons et des fossés qui redessinent un espace musical, poétiquement ponctué par ce qui jaillit du sol, pieux ou arbres. Parcourir le spectre de ses thèmes - en allant du grand angle au détail -, c’est apprécier les silhouettes de pins superbement simplifiées et arriver au motif végétal isolé, qui tient dans son travail récent une place importante. Détachées de leur contexte de terre et d’herbe, la tige, la feuille et la fleur ont été transformées en signes robustes, chargés d’énergie. Plutôt que de s’abandonner aux vertiges des perspectives accélérées, Astrid de La Forest joue alors de la force des aplats dans un espace qui est cette fois essentiellement conçu en deux dimensions. La force de cette langue impétueuse et sensible est accentuée par sa prédilection pour les formats ambitieux, alors que le graveur se plaît à jouer sur les échelles, en traitant par exemple le détail en grand. En matière de fleurs, sa préférence ne va pas aux espèces les plus suaves : de grands chardons secs et griffus et des tournesols à la floraison avancée dont les tiges carbonisées portent de gros cœurs sombres. La flore d’Astrid est farouche, aiguë, magnifiquement noire. Le goût des formes stylisées, le sens du vide, l’effet de surprise de certaines mises en page pourraient faire songer, par instants, à la grande tradition orientale. Mais ce n’est pas le potentiel calligraphique qui se cache dans les formes qui captive le graveur. Une houle capricieuse paraît animer le motif, qui semble même réserver une place aux inflexions fortuites, à un certain désordre maîtrisé qui s’exprime dans les lignes rugueuses ou délicatement effilochées de ses contours. Il paraît presque trop facile de souligner la consonance profonde entre ce que son regard retient du motif et sa pratique du métier de graveur. Certes, le monde que l’on voit ici a des contreparties immédiates dans sa peinture. Comment ne pas sentir pourtant que la marque des labours et des ravinements, que la silhouette griffue des plantes qu’elle affectionne, ont trouvé une expression naturelle dans sa manière d’engager le combat avec la plaque de cuivre, incisée, mordue, grainée dans un long et patient travail qui sait apprivoiser la violence ?


© Diederik Bakhuÿs