JEAN MURGUE / Myriam Boccara (2003)


Au bord de la nationale 19 à Boissy-Saint-Léger, il y a une maison à tourelles rêvée par une danseuse du Moulin Rouge. Dans cette maison vit Jean Murgue et sa famille dans un décor propice à l’inspiration : un parc comme un bois, avec ici et là une serre, une cabane, un entrepôt long de 20 mètres servant aujourd’hui d’atelier, hier dépôt de serres de l’entreprise familiale. Un atelier en chantier - chantier - c’est bien le mot, comme Bruxelles, Istanbul, ces villes en perpétuel remaniement. Murgue a le démon du chantier, il aime sculpter, souder, forger, construire des maisons particulières, petites comme des maquettes. Des maisons comme des chambres à vivre, maisons-fonctions comme ces cabanes de pêcheurs, ces abris à outils au fond du jardin, ces « fous-moi la paix » à l’échelle de solitudes, niches, nichoirs pour oiseaux, cages ou cellules. L’atelier est donc en travaux, tant pis, il y a l’orangerie au premier étage : véritable observatoire sur le jardin, une cellule vitrée, idéale pour regarder les arbres et les peindre à l’encre brune, les coincer entre deux verres comme les papillons du naturaliste. « C’est avec des pièces de métal embouties en forme de pignons, des formes prédéterminées que j’ai fabriqué les premières maisons. »

Le fer ordinaire Murgue aime le fer laminé ordinaire, l’encre des imprimeurs et leur papier couché brillant, le carreau de verre 2/10e, le juste nécessaire. C’est un artiste comme ça... brut... avec un rien, on rêve. Du peu qui tiendrait dans la poche d’une salopette de travail. Ailleurs dans la maison... une pièce, un décor d’atelier d’architecture investi par un ferrailleur-zingueur nouvellement arrivé dans le métier. S’entassent des usines en fer laminé (le Nord, bien-sûr), des cabanes en bois de cageot, des vues axonométriques de maisons cousines jamais à l’abri de la fantaisie de l’auteur : « j’ai un arbre qui pousse dans ma maison », « j’attends des subventions pour faire des travaux dans ma maison », « on a vendu une maison, c’était un arbre », autant de légendes, de courtes phrases enfantines que de jours comptés dans la semaine, comme un journal de bord tenu à l’encre noire comme du plomb, encre à tampons. Des élévations de temples sombres toujours sur fond clair, palais grotesques imitant ceux d’Asie, du Mexique tout en rappelant les monumentales usines du Nord pour plaire aux amateurs fortunés.

Né le 7 août 1960, petit, il vivait à Cambrai (Nord). Son œil est bleu,... ou gris incertain comme la mer à Dunkerque, au Havre où il passe ses premières vacances. Le vent souffle, on y fait des trous dans le sable pour se protéger (abris). Il souffle jusque dans les cabines de bain (celles qu’il n’oubliera pas), il souffle aussi l’année durant dans les quartiers ouvriers à Cambrai où de mornes maisons se regardent confondues.

Ma maison, mon rêve Les maisons voisines à Boissy font comme la lèpre, se répandent, immergent le quartier pour abriter les « coléoptères » voisins... rires sauvages...... Murgue voudrait les réaliser en béton, toutes semblables comme des bornes, des pâtés : une bête ville modélisée. Pourquoi cet acharnement, cette particulière fascination pour l’architecture ? Aux pieds des arbres de Jean (l’autre versant de l’œuvre), il y a des flaques comme la mélancolie, le sol est mouillé, imbibé comme marécageux. La lumière est grise, jaunâtre, pareille aux films de Tarkovski. Ces maisons sur pilotis, ces flottilles, ces barques, ces îles en dérive, ces bosquets en marche, ces arches menées par des pêcheurs fantomatiques, radeaux de fortune, où vont-ils ? Les vues de temples portent des traces de rouille, l’encre se désagrège comme sur d’antiques parchemins, ayant subis les dégâts des eaux, l’humidité des caves, c’est la mousson à Boissy - alors que faire sinon trouver un abri modeste, oh ! pas grand chose, un sol, quatre murs, un toit.


© Myriam Boccara (avril 2003)